jeudi 16 octobre 2025

Wulong Days | 2009, Jin Xuan Gao Shan de Lu Shan, Teamasters

6h43.

Le soleil n'est pas encore tout à fait levé. En ouvrant la fenêtre, je sens sur ma peau la morsure de l'humidité. Il a plu la nuit dernière. La terre de jardin est gorgée noire d'une eau nourricière qui s'était faite rare ces dernières semaines.

J'avais prévu de préparer un puerh ce matin. J'avais même sorti quelques ustensiles en prévision. Mais la lumière grise orage du ciel couvert et le vent humide, plein des parfums de la pluie, poussent ma main vers le tiroir à wulong. 

Il y a des choses qui, tout simplement, vont ensemble : les jours pluvieux, au printemps et à l'automne, et les petites billes bleu-vert d'un wulong roulé. La pluie doit être froide. Le thé doit être léger, sucré, parfumé. Puis, il faut respirer à plein poumons. Les arômes du thé mêlés de ceux de la pluie prennent alors une nouvelle dimension. 

En ville, la minéralité de l'air soutient et soulève les parfums du thé à la façon du plus délicat Tie Guan Yin. À la campagne, les odeurs mouillées de fleurs, plantes et conifères forment des échos joueurs dans la tasse. Dans les deux cas, amplification par contraste des parfums qui n'appartiennent qu'au thé : floral fin, fruité juteux, beurré laiteux... gourmandise sans retenue. 

Je déguste cette liqueur debout à la fenêtre, dos tourné sur mes ustensiles, afin de goûter la matinée qui s'éveille, son silence tranquille, son air frais vivifiant. De plus en plus frais d'ailleurs à mesure que la saison avance. Bientôt il me faudra évoluer ce rituel matinal, mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui je profite du vent dans les branches, de l'eau qui sature l'air, du thé dans ma tasse... et du petit écureuil nerveux qui vient de temps à autres grignoter les grains laissés à son intention, compagnon de thé aux pattes fines et aux yeux curieux.

Plaisirs simples. 

Il faut probablement une effronterie sans nom pour faire le compte-rendu d'un thé dont la jeunesse remonte à plus de 15 ans, mais c'est pourtant ce que je me propose de faire. Ma voie du thé est parsemée d'embûches et confinée à l'éphémère, aux longs silences entrecoupés de frénésies de dégustations. Les feuilles oubliées dans mes tiroirs, comme les plantes durant l'hiver, dorment jusqu'au prochain éveil. Certaines ne survivent pas. D'autres s'épanouissent. C'est comme ça. Autant en prendre parti. 

Ce Jin Xuan Gao Shan de Lu Shan du printemps 2009, acheté chez Teamasters, est l'un de ceux qui a le mieux survécu.

En fait, son évolution est proprement magnifique. Il a perdu son pôle vert frais, comme on peut s'y attendre, mais y a gagné en rondeur. Les arômes beurrés, laiteux, sont encore bien présents. Le sucre doux s'est amplifié, soutenu par une discrète pointe de confiture presque caramélisée. Et que dire du floral ample, renversant, qui parfume la pièce entière dès les billes glissées dans le gaiwan ! 

L'aspect qui a toutefois ma préférence c'est la texture grasse et soyeuse qui s'exprime maintenant à l'avant-plan. C'était principalement un thé de nez, de bouche, comme bien des wulong frais... c'est aujourd'hui un thé de corps, qui s'impose avec sa force tranquille et sculpte en soi un espace dégagé, paisible, assagi. 


Les thés qui vieillissent moins bien chez moi souvent développent des saveurs acides, avec un côté "off", éventé, qui me rappelle les feuilles mortes ou la paille sèche. Les parfums sont alors en retrait, dominés par ces notes désagréables. Un puerh qui développe ces saveurs peut parfois être sauvé par un bain de vapeur, mais sur les wulong ça signe la fin du voyage car ces thés craignent l'humidité. 

Sur ce Jin Xuan, aucune fausse note. On pourrait l'engager à l'orchestre. 

Il s'épuise vite cela dit. Quatre infusions, puis les fleurs s'atténuent déjà... mais c'est le seul point sur lequel je constate les ravages du temps. Autrement il supporte les infusions légères, plus poussées, chaudes, froides, et tout ce qui se trouve entre ces extrêmes. La liqueur épuisée, aux saveurs rondes sans grande définition, continue aussi d'être agréable ce qui est loin d'être toujours le cas. Je ne peux que remercier Stéphane du soin qu'il met à choisir ses producteurs. 

D'autres choses vont bien avec les jours de pluie et le wulong frais. Les couleurs grises, bleues et vertes qui s'entremêlent et dansent, nature reflétée sur l'eau d'une rivière. L'art d'Anselm Kiefer, empreint des ravages de la guerre et d'un désœuvrement mélancolique qui me touche depuis longtemps. La texture du métal rouillé, son parfum métallique. Le passage du temps. La nostalgie poignante, presque portugaise, d'une rencontre manquée, perdue à jamais. La nostalgie plus générale d'une époque passée qui ne s'est jamais proprement terminée, et dont les plaisirs longtemps oubliés se redécouvrent avec surprise, familiarité, et ce recul amusé que l'on n'acquiert qu'avec l'expérience. 

Pour l'instant, thé à la main, je suis comblé. 

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