jeudi 16 octobre 2025

Adversi-thé | 2013, Gui Fei (lot 160) de Baguashan, Taiwan Tea Crafts

Certains jours sont plus difficiles que d'autres. 

Ils s'annoncent dès le réveil. Je suis plus fatigué. Mes gestes sont maladroits, parfois jusqu'à la casse. Je n'arrive pas à secouer la brume des derniers rêves et cauchemars, le monde m'apparaît rude de réalité. Une dispute avec un être cher la veille continue de me tourner en tête. Le froid m'indispose. Une révolte, colère ou tristesse m'envahit, et je n'ai plus envie de rien. 

Parfois il ne semble pas y avoir de raison. Et pourtant, mon thé matinal ne m'apaise pas comme je le souhaiterais. 

 
Ces jours-là, c'est dans la beauté de la nature que je me réfugie. Le soleil dont les rayons s'étirent comme des fils d'or. Les arbres d'automne, éclatants de rouge et de jaune contre le ciel bleu limpide. Les animaux qui traversent mon champ de vision, affairés à faire des provisions, et dont le comportement furtif me rappelle à quel point il est inutile de se prendre la tête. L'hiver arrivera à la même heure pour tout le monde. 

Ce Gui Fei de Baguashan, je pensais l'avoir terminé depuis longtemps. Mais aujourd'hui j'avoue, je suis bien content d'en trouver les derniers grammes.

Il faisait partie de ma première commande chez Taiwan Tea Craft. À l'époque où il est sorti, nous n'avions pas encore tout à fait compris à quel point la différence des lots importait. Les copains sur le FAT m'avaient vanté le Gui Fei qui était apparemment fruité, parfumé, sucré comme un jus de fruit, avec un raffinement dans sa liqueur qui tenait du rarement vu au prix annoncé.

Mais ça, c'était les lots 158 et 159.

Le 160, qui est arrivé chez moi, était différent. Rêche en bouche, léger sur le sucre, quelques traces de torréfaction, surtout minéral avec un fruité en retrait. Un thé d'une grande noblesse, mais beaucoup plus difficile d'accès. Et finalement, à l'époque, pas du tout ce que je recherchais dans un thé dit "de la concubine". 

Quand les copains ont commandé une deuxième fois et reçu le 161, qui était exactement comme le 159, je me suis senti un peu floué je l'avoue. Je n'arrivais pas à comprendre comment et pourquoi deux thés pouvaient être vendus sous le même nom, à un chiffre près, mais donner des expériences si différentes. Et j'en avais 50 grammes ! C'est long à faire passer, 50 grammes d'un thé qui déstabilise, dont il faut apprendre à l'apprivoiser avant d'en tirer des liqueurs qui nous plaisent. 

Et pourtant. 

Dégustation après dégustation je me suis mis à la tâche, chaque nouvelle tasse apaisant ma déception. J'y ai découvert un floral discret, prenant, inattendu. Sa minéralité particulière, cette saveur de caillou si présente, s'est taillée une place dans mon coeur. Son attaque rêche cachait une descente limpide, très ronde, qui fait du bien à l'âme autant qu'à l'estomac. J'en suis venu à le considérer comme un thé oursin, dont les théiers ont grandi dans l'adversité d'une falaise rocailleuse, et qui dévoile un centre tendre sous ses épines agressives. 

Il y a des thés comme ça. Il y a des journées comme ça. Il y a aussi des gens comme ça, dont beaucoup me diront que j'en fais partie. Parfois, survivre tient au développement d'un extérieur revêche, qui protège nos zones de vulnérabilité. Parfois, survivre, ça veut dire retrouver dans la tasse des saveurs de caillou plutôt que des saveurs de fruits.

C'est comme ça. 

Douze ans plus tard, je suis enchanté de le redécouvrir exactement comme dans mon souvenir. Aucun parfum en retrait, aucune saveur désagréable de mauvais stockage, la même rondeur, les mêmes fleurs, les mêmes cailloux. Une douceur intacte sous son attaque rêche. Et aujourd'hui, alors que rien ne va, ça me fait sourire. 

Après tout, les cailloux, ça survit plus longtemps que les fruits. 

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