samedi 18 octobre 2025

Le bon moment | 2010, MiLan 2 FengHuang DanCong, Maison EndORa

J'aime les levers de soleil. 

Quand je me suis réveillé ce matin, il faisait encore nuit noire. La journée démarrait plutôt mal. Mes pensées étaient éparpillées, mes émotions également. Il n'était pas encore tout à fait 5h et je me sentais déjà bousculé, triste et mélancolique, à la limite du désœuvrement. Je trouve un plaisir renouvelé dans mes dégustations matinales mais il faut bien admettre que c'est encore un plaisir solitaire, alors que j'ai soif de communauté. Les perches que je tend depuis un mois demeurent sans réponse. Un jour il me faudra admettre que je pêche tout simplement au mauvais endroit. 

Et puis il y a l'autre sorte de mélancolie, celle qui est due au temps, au deuil, à cette personne chère dont la vie a été arrachée bien trop tôt, et qui est omniprésente dans mes pensées chaque automne depuis l'annonce choquante de son décès. Nous nous étions rencontrés vers la fin de ma vingtaine. J'ai maintenant quatre ans de plus qu'il n'en a jamais eu. Ce simple état de fait me cause une souffrance sourde, sans cesse renouvelée, que je n'arrive pas à dépasser. 

Ça serait peut-être plus facile si je n'avais pas laissé l'anxiété s'interposer entre nous, limiter nos échanges. La tristesse serait peut-être moins complexe, plus facile à appréhender. Ou peut-être pas. Le deuil, je m'en rend bien compte, ne se soucie pas des conventions. Aujourd'hui, comme à l'époque, il est entaché de regrets.

Ce Mi Lan Xiang dans ma tasse, je m'en souviens comme d'un thé de très haute qualité gâté par une odeur de plastique parasite provenant du sachet dans lequel il avait été scellé. Les feuilles longues, intactes, fines et torsadées étaient magnifiques, avaient clairement été façonnées avec soin. La dame qui me l'a vendu en était de toute évidence très fière, et l'échantillon présenté avait un parfum de pêche envoûtant. Mais à l'ouverture du sachet chez moi, il a bien fallu se rendre compte qu'il était imbuvable, tout comme la majorité des thés achetés dans cette boutique. Quelle déception. 

N'étant pas du genre à gaspiller, et les feuilles étant si belles, je n'ai pu me résoudre à m'en débarrasser. Je les ai donc transférées dans un autre sachet que j'ai laissé tout au fond de mon tiroir, et je les y ait oubliées là, au sens propre du terme. Je crois que mon raisonnement de l'époque était que rien de pire ne pourrait arriver à ce Dancong, et que s'il était encore imbuvable quand je les retrouverais, eh bien tant pis. Sinon, tant mieux.

Je ne suis pas étranger à ces jeux de patience, surtout quand il s'agit de thé, mais il faut admettre qu'ils ont rarement porté fruit.

Quand je l'ai sélectionné ce matin, c'était simplement dans le but de finir un autre sachet entamé jamais terminé. La lumière grisaillante promettait de la pluie, une autre journée qui s'annonçait maussade, et malgré deux heures d'éveil j'avais encore la lassitude ancrée dans les os. Je l'ai préparé la tête ailleurs, sans peser les feuilles, en les glissant toutes entières dans ma petite poire qui vient de la même boutique, et dont la terre arrondit les Dancong et Yancha sans en amoindrir les notes de tête (tout un exploit, pour une terre si absorbante). J'ai versé la première infusion, une jolie liqueur orangée.

Puis j'ai remarqué la lueur douce qui s'emparait du ciel. Thé à la main, je me suis précipité dehors.

Un lever de soleil, ça ne dure tout au plus que 15 minutes. Parfois c'est encore plus furtif. Il faut que les conditions météorologique soient toutes assemblées, sinon le ciel passe du noir au clair avec à peine quelques traces de jaune. Ils ne sont pas rare exactement, mais ce n'est pas un événement sur lequel on peut compter tous les jours, ni même toutes les semaines. Il faut être réveillé au bon moment, avoir le nez tourné vers le ciel, et rester à l'affût comme un chasseur aux aguets. Souvent, même en prêtant attention, je les manque si je me laisse distraire ou si je suis trop pris par mes pensées.

Pas aujourd'hui heureusement.

Pêche dans le ciel. Pêche dans la tasse. Synchronici-thé rare, d'autant plus appréciée en cette journée de deuil. Et la note plastique s'est complètement évaporée. 

Il y a des choses pour lesquelles il faut répondre présent dans l'immédiat, sans quoi elles sont perdues à jamais. Il y a d'autres choses pour lesquelles il faut développer sa patience et attendre, attendre, attendre que le bon moment se révèle, en espérant qu'on sera toujours là quand il passera. La deuxième m'est plus facile. La première j'ai encore du mal, mais j'y travaille. J'y travaille.

Na Zdrowie, l'ami

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