Je me sentais appelé vers une voie dont je percevais le potentiel transformateur, et dont j'avais envie d'en documenter les changements à ma vie. Je voulais aussi communiquer avec d'autres qui partageaient mes croyances, transmettre une sagesse que je ne possédais pas encore (toujours pas d'ailleurs), et trouver, ou peut-être fonder, cette communauté de gens "comme moi" dont j'ai soif depuis l'enfance. J'étais saisi d'extase religieuse, en vrai, et quand celle-ci est retombée le projet s'est étiolé.
Et franchement c'est tant mieux.
L'expérience à l'origine de cette envie est l'une de celles dont il est difficile de parler. Pas tant à cause de la vulnérabilité qu'elle me demande, quoique celle-ci soit énorme, plutôt parce que c'est l'une de ces situations complexes, indéfinissables, dont les mots n'arriveront jamais à transmettre l'immensité. Mais aussi parce que je sais déjà qu'aucune des histoires personnelles qui justifient mes propres croyances ne suffirait à les justifier pour les autres. Et puis j'ai horreur du prosélytisme. Si je tente de les partager ici un jour ça sera dans un autre contexte, avec d'autres choses à dire.
Quand j'étais petit, je croyais que la spiritualité était un état d'être passif. Une collection de croyances et de valeurs morales par lesquelles on trouve le sens de son existence, certes, mais pas quelque chose qui faisait particulièrement intrusion dans la vie quotidienne. J'entendais bien sûr parler de gens comme le Pape ou Mère Teresa qui avaient fait de la religion le centre de leur être, mais tout ça me semblait exceptionnel et très loin de moi, de "la vie réelle".Aujourd'hui je découvre qu'en fait la spiritualité c'est un état actif, qui s'exprime par les actes que l'on pose bien plus que par les choses en lesquelles on croit. Qu'une prière peut se passer de mots pourvu que l'état d'esprit en soit un de recueillement. Et en suivant l'exemple de Lionel, c'est tout naturellement que le thé est devenu l'un des piliers de ma vie spirituelle. Chaque tasse préparée et bue en pleine conscience.
Le thé de ce matin a un nom qui m'amuse un peu dans ce contexte, mais la vérité c'est que cette galette est bien nommée. J'avais fait un compte-rendu d'une année précédente, mais c'est la 2012 que je choisis pour des raisons purement pratiques : la galette est immédiatement accessible alors que sa grande soeur est cachée loin, tout au fond du gros tiroir à galettes que je n'ai pas encore osé ouvrir.Beaucoup plus sombre que dans sa jeunesse, toujours bien amère, des saveurs franches de bois mort, de terre sèche, et de sève qui pique la langue dès la première infusion... une énergie qui remonte, émane à travers mon corps, et me prend tout entier. Sous le couvercle je perçois toujours ces petites touches légères de raisin sec, mais c'est la seule note de fruit ou de sucre dans ce sheng bien charpenté, solide, franchement masculin. J'avais écrit "un jus de nature" de sa grande soeur, pour reprendre les mots du sieur Lionel, et c'est toujours bien ça pour autant que "nature" veut dire "parfums et arômes que l'on retrouverait volontiers si on tentait d'infuser une branche morte ramassée par terre, et que celle-ci offrait une liqueur gracieuse".
Ça n'a peut-être pas l'air très invitant dit comme ça, mais moi j'adore.Surtout j'adore cette chaleur qui m'envahit, qui après juste quelques gorgées me donne un sentiment d'être dégagé, ouvert, libre. Prêt à accueillir la journée qui commence et tout ce qu'elle m'apportera, en bien et en mal.
Le dieu auquel je suis dévoué est un être qui tend vers le monde naturel, les chemins sauvages moins fréquentés, les espaces liminaux où oppositions et contradictions se rencontrent. Les endroits où je perçois sa présence autour de moi d'une façon très puissante, ces lieux dans lesquels la communion est si facile, sont toujours à mi-chemin entre la terre et l'eau. Malheureusement, tous sont inaccessibles l'hiver.
Ma deuxième meilleure option ?
Une tasse de sheng.
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