samedi 11 octobre 2025

9 ans plus tard...

 


Me revoici après une longue absence avec une série d'ancien compte-rendus, écrits à l'époque mais jamais postés. Bien loin de mon style actuel, j'espère qu'ils sauront vous amuser. Je m'en serais voulu d'avoir laissé tout ça en friche plus longtemps.

Maintenant que cette tâche est terminée, je ne sais pas ce qui adviendra de ce blog.

Le monde a changé et j'ai bien changé avec lui. J'avais autrefois un joli petit template de dégustation très rigoureux que je suivais à la lettre, et qui je l'avoue ne m'inspire plus du tout. À quoi ça sert, finalement, de noter toutes ces impressions avec tant de précision ? Ça m'épuise, et puis ça ne capture en rien la mesure de ce qui se trouve dans ma tasse. Je n'ai pas de vocation œnologique, je ne suis pas vendeur de thé, je ne suis qu'un amateur au cheminement chaotique, un amoureux des mots et des expériences qui me transportent. 

J'ai envie de laisser place à plus de poésie, plus d'intériorité dans cette pratique de thé que j'ai délaissée depuis si longtemps. Quelques mots, quelques images, beaucoup d'impressions... rendre au thé son statut sacré, nourriture de l'âme, plutôt que de le maintenir au niveau de jeu intellectuel ou sensoriel. Le relier à des lectures, des promenades, des moments vivants de spiritualité plutôt que de me cantonner aux détails techniques derrière lesquels l'humain s'estompe.

Mon premier blog de thé était plutôt de ce type, mais un incident a fait que je m'y suis senti trop exposé. Il y a donc également un équilibre à trouver car c'est un acte presque exhibitionniste finalement, d'écrire un blog, et j'ai toujours été quelqu'un qui préfère la discrétion, l'intimité, le silence.

Je me laisse le temps d'y songer. Avec un peu de chance, on se reverra vite. 

En attendant je vous souhaite à tous de belles dégustations.
À bientôt, 
Leaf 

2005 – Songboling "Aged Oolong" lot 135, Baguashan, Nantou, Taiwan, Taiwan Tea Crafts

Dégustation du 16 avril 2016


Informations et provenance : Échantillon d'Eric, autrement dit ooericoo du Forum des Amateurs de Thé. Ce wulong âgé provient à l'origine de la boutique Taiwan Tea Craft et à l'heure où j'écris ce billet il n'est malheureusement plus disponible à la vente. 


Détails d'infusion : 2.5 gr. / 85 ml en Shui Ping ZiNi de Wang Xue Feng et tasse "Jian" de David Louveau. Eau filtrée Brita, maintenue à 100°C en Yama Glass Kettle. Rinçage flash. Temps d'infusion : 20s. - 30s. - 40s. - 55s. - pause pour manger. Reprise : 1m.30s. - 2m. - 3m. - 5m. - dernière au jugé. Total de 9 infusions.


Vue : Des billes noires, compactes, brillantes et odorantes, ça augure bien ! Une fois mouillées elles demeurent recroquevillées sur elles-mêmes, ce qui est je suppose le signe d'une torréfaction poussée. 

La liqueur orangée me séduit avec sa bonne tête de cognac, elle est parfaitement translucide... pas commun pour un wulong torréfié, pas commun du tout ! Ou alors j'ai besoin de me trouver de meilleurs fournisseurs. 


Odeur : Eric, Yoann et moi avons eu un petit débat sur l'odeur de ce thé. Je ne me souviens plus qui l'a mentionné en premier, probablement Yoann... mais alors je confirme une fois pour toute, ce thé a bien des relents d'armoire de grand-mère. Je vous assure, ce parfum est vraiment particulier, impossible à décrire précisément, mais immédiatement identifiable. Ce qui est un tour de force considérant qu'Eric, Yoann et moi ne partageons pas le même pays. Il faut croire que les grand-mères francophones ont des armoires qui sentent toutes la même chose.

Autres choses que nous y avons trouvés en vrac : la torréfaction bien sûr, le goudron, le café noir fraîchement moulu, l'infusion de racine de chicorée, quelque chose de grillé... peut-être des noix ou du pain ? Bois brûlé, céréales soufflées, réglisse noire, bois de santal, lait caramélisé, arachides caramélisées, nougat, fleurs fraîches, bois d'épinette sec, mélasse, et chandelle de paraffine chauffée. Tout un bouquet.

Bref vous l'aurez compris... c'est raffiné pour ne pas dire paraffiné, déstabilisant, chaotique, et étrangement gourmand sans grand sucré. 


Goût : L'armoire de grand-mère est bien au rendez-vous avec ses parfums de poudre, de bois sec et résineux, de paraffine, et de ce parfum indéfinissable mais familier, réconfortant, et un peu passé (faut bien être honnête). En tout cas c'est puissant, et ça c'est le moins qu'on puisse dire.

Il y a aussi un petit côté lacté difficile à définir sous des saveurs de torréfaction prononcées. Ce côté grillé demeure présent toute la dégustation, accompagnant des saveurs douces de mélasse et nougat, et évolue au fil des infusions vers le riz grillé, le même que l'on trouve dans le genmaicha. 

Je reste mitigé face à ce thé qui m'interpelle et pique ma curiosité, mais qui me déstabilise avec sa saveur prononcée... ben, de vieille armoire quoi. Ma dégustation en est devenue plutôt intellectuelle qu'intériorisée, ce qui ne me donne pas vraiment envie d'en faire une autre... mais je ne regrette pas d'y avoir goûté (ou plutôt d'avoir fait l'expérience de ce wulong !), ni les conversations et fou rires partagés avec les copains. Merci Eric ! 


Texture : C'est ample et rond, épais, et ça laisse une sensation cirée sur la langue (je le jure). Aucune astringence, si bien que ma bouche ne cesse de saliver. La persistance des saveurs est moyenne, je pense que la force de ce thé est plutôt dans sa texture et son épaisseur en bouche. Je n'ai pas remarqué de grand effet sur le corps, mais nous nous amusions tellement ce soir-là que nous n'avons peut-être pas remarqué que nous étions tea drunk. 


Couleurs
: Eh ben du coup, exactement ce que l'on attendrait d'une armoire de grand-mère. Un brun sombre dont les échos sont vert-jaune clair, rouge-rosé, avec de très légères touches de bleu ? Ben c'est le bois de l'armoire, plus les vêtements aux couleurs vaguement psychédéliques que mamie a rangé dedans, voilà. 

2014 – "Spring" Fu Shou Mei, Feng Qing, Yunnan, Chine, Yunnan Sourcing

Dégustation du 14 avril 2016


Informations et provenance : Une autre curiosi-thé ! Cette fois en provenance de Yunnan Sourcing, il s'agit d'un thé rouge Dian Hong dont le processus de fabrication consiste à le torréfier en y ajoutant du sucre muscovado afin d'y développer des notes de caramélisation maltée. Il y a peu d'information à ce sujet et je ne sais pas si c'est une technique ancestrale ou développée pour les touristes (ou développée pour les touristes à une époque ancestrale, qui sait), mais l'originalité me plaît. Testons. 


Détails d'infusion : 5 gr. / 100 ml en Gaiwan de porcelaine basique. Eau filtrée Brita, maintenue à 100°C en Yama Glass Kettle. Pas de rinçage. Temps d'infusion : 30s. - 30s. - pause. Reprise : 30s. - 45s. - 1m. - 1m30s. - 3m. - 5m. - suite au jugé. Total de 10 infusions.


Vue : Les feuilles sont minuscules, entortillées sur elles-mêmes, et d'un noir de jais avec accents mordorés. Elles sont luisantes, ce que j'attribue au sucre mais qui sur un autre thé m'aurait fait penser aux huiles naturelles des feuilles car j'ai vu entre autres un puerh violet avec ce même lustre par le passé. Les feuilles mouillées, elles, sont absolument intactes ! Aucune carbonisation des feuilles comme l'aurait laissé penser le parfum qu'elles dégagent.  

La liqueur d'un rouge pur et lumineux me tape dans l'oeil, je ne m'en lasse pas de la contempler.

Note de 2025 : C'est d'ailleurs à la photo ci-dessous que vous devez de lire ce post aujourd'hui, car l'article était incomplet et j'ai dû bosser dessus un peu plus fort que les autres pour qu'il soit prêt. Mais la couleur de cette liqueur, wouah.


Odeur : Les parfums terreux et sucrés de malt sont vraiment très prononcés dès l'ouverture du paquet. Ça me rappelle le caramel brûlé et la mélasse, des odeurs très fortes qui restent dans le nez. À la surface de la liqueur je perçois un léger camphre, avec quelque chose de vaguement mielleux, amer et ciré qui me rappelle le propolis, mais c'est vraiment cette odeur terreuse qui prend le dessus. En fond de tasse, un petit miel de fleur léger. C'est intéressant, mais sur une journée moins aventureuse j'aurais pu écrire "déstabilisant". 


Goût : Alors je dois dire, en bouche ça n'a rien à voir avec ce que l'on attendrait d'un thé, c'est vraiment son propre truc. Les saveurs sont portées d'une façon complètement différente, et par-dessus tout la torréfaction domine. Personnellement je trouve que c'est joliment maîtrisé, mais c'est très lourd en bouche et faut avoir envie de ce genre de boisson.

Ça part sur des saveurs de caramel brûlé qui se transforme en sucre de canne malté, avec un léger camphre, et du clou de girofle, racine de chicorée, et café instantané qui pointe par-dessous. Il faut vraiment se concentrer pour identifier ces notes car cette première infusion est un peu trop puissante et les subtilités sont difficiles à saisir.

La deuxième est nettement plus agréable en diminuant le temps d'infusion, j'y trouve le même pôle mais plus sucré que brûlé, plus harmonieux. Le camphre se confirme, le malt également, ainsi que des saveurs épicées. Ce n'est pas le thé le plus complexe, mais on n'attend généralement pas ça d'un thé rouge. 

C'est une dégustation intéressante cela dit. Je suis bien content d'en avoir récupéré quelques grammes.


Texture : Liqueur ULTRA épaisse, liquoreuse même, c'est aussi lourd qu'un rhum épicé. Les saveurs restent en bouche très longtemps, particulièrement pour un thé rouge. Cela dit, peut-on vraiment appeler ce produit un "thé rouge"? Honnêtement, ça se discute. J'avoue que je me demande jusqu'à quel point le sucre caramélisé n'a pas complètement effacé le thé de l'équation. 

Personnellement, je crois que j'aurais apprécié l'effet gommant d'une théière... J'avais l'impression de percevoir des choses fugaces sous la torréfaction, mais celle-ci était si présente qu'à peine perçues, ces notes s'étaient déjà envolées. Le sucre inclus dans la fabrication de ce Fu Shou Mei a retenu ma main cela dit... j'aurais peur de contaminer mes terres.

Note de 2025 : Les années me donnent moins de retenue et j'ai bien envie de passer les derniers grammes de ce thé dans ma Purion, qui n'a de toute façon jamais trouvé la famille qui lui convenait. Au pire si c'est horrible elle passera une nuit dans la javel et le lendemain, comme neuve. C'est pas exactement une théière qui a accumulé un culottage intéressant chez moi... Et puis qui sait, peut-être que ça me donnera envie de racheter de ce petit Fu Shou Mei, qui demeure relativement bon marché aujourd'hui, en plus de trouver son emploi à ma Purion.


Couleurs : De rouge, de l'orangé, du vert kaki peint en touches successive par-dessus un fond brun bien riche. L'ensemble me donne une impression de promenade en nature, à l'automne, par un jour très ensoleillé. 

Pas de couleurs abstraites cette fois, car à l'époque où j'ai fait cette dégustation mes notes n'avaient pas été complétées et je n'en avais pas ajouté à l'embryon de cet article. Il est possible qu'un jour je découvre une image correspondante dans les fichiers de mon vieil ordinateur, mais pour l'instant il faudra s'en passer.

Je vous laisse donc sur une autre image dont les couleurs correspondent bien à ce que ce thé m'évoque, et qui a le mérite d'être chargée d'histoire

2013 – Lao Man E « Spring », Bulang Shan, Bulang, Xishuangbanna, Menghai, Tea Urchin (Évolution)

Dégustation du 10 avril 2016
(La première dégustation se trouve ici.)

Informations et provenance : La fin du sachet de l'OSV Tea Urchin dont j'avais fait une dégustation il y a quelques années... ça ne sera pas la fin de ce thé cela dit car je m'en suis récupéré une galette. 


Détails d'infusion : 5 gr. / 130 ml en DuoQio "Modern" ZhuNi. Eau filtrée Brita, maintenue à 100°C en Yama Glass Kettle. Rinçage flash. Temps d'infusion : 10s. - 15s. - 20s. - 25s. - 30s. - 40s. - 50s. - 60s. - suite au jugé. Total de 12 infusions (dont une qui a macéré toute la nuit).


Vue : Feuilles identiques, liqueur toute aussi pâle et claire sur la première infusion que la dernière fois, plus orangée sur les suivantes... pas grand changement entre novembre 2013 et mars 2016. Goûtons.


Odeur : Au nez je retrouve de la cassonade, des parfums finement fruités (bleuets et mûres noires, l'acidité d'un abricot frais cueilli, encore un peu vert), et une pointe de noisette très furtive qui ne l'espère se révélera davantage avec le temps car c'était très gourmand. Au fond de la tasse je retrouve le musc sucré que j'aime tant. 

La dernière fois je qualifiais ces arômes par le mot "charnu", je ne suis pas convaincu que ce terme convient toujours. Mais c'est généreux et gourmand, quoique peut-être un peu en retrait maintenant. 


Goût : La première infusion est très douce et végétale, ce à quoi je ne m'attendais pas vu l'explosion d'amertume en bouche la dernière fois. Les saveurs sont fines et fleuries, c'est encore meilleur quand ça refroidit un peu et que les subtilités se développent. 

La deuxième, bien plus prononcée en couleur, me surprend : je n'y retrouve toujours pas l'amertume puissante que j'en étais venu à associer avec ce thé. En bouche c'est savoureux, fruité, boisé, finement végétal, même un peu fleuri. Mais je suis déstabilisé et c'est ça, plus que le thé lui-même, qui retient mon attention. 

La suite est du même calibre, avec une certaine âpreté dans le bois qui s'installe, et qui après la quatrième infusion se développe sur le tabac, les cendres, bref ce qu'on attendrait d'un jeune thé du terroir de Bulang. 

Je suis confus. Je ne le reconnais plus. Il est bien ce sheng, très bien même, mais il faudra que je passe quelques longs moments avec lui... car c'est comme rencontrer une nouvelle personne alors qu'on s'attendait à retrouver un ami. Ça me déstabilise, mais ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose.


Texture : C'est bien rond et lisse, relaxant sans être énergisant, et j'avoue que je ne dirais pas non à une petite sieste maintenant. Je sens bien l'énergie qui était présente autrefois mais elle s'est assagie, son action n'est plus aussi marquée et joueuse. Un thé en retrait ? Ou simplement un thé qui prend de l'âge ? C'est le temps lui-même qui saura me le dire...


Couleurs : Comme j'écrivais à Niva (Humeurs d'un Paradoxe) à l'instant : "C'est super marrant la synesthésie. :happy: En reniflant les feuilles sèches de mon thé, j'ai eu du bleu et du vert sombre sur fond noir en type "brume"... et à un moment y'a une note d'abricot qui a fait "wham je suis là !" et j'ai vu une grosse traînée lumineuse dorée traverser mon tableau mental.
Et là j'ouvre mon document d'il y a deux ans pour comparer les parfums et saveurs.
Et je vois ça. :happy:"

2010 – Oriental Beauty, Hsinchu, Taiwan, Hojo Tea

Dégustation du 5 avril 2016


Informations et provenance : À l'origine un thé de Hojo Tea, qui en a parlé ici, c'est un échantillon gentiment offert par Sébastien du blog Vacuithé et aussi du Forum des Amateurs de Thé, dont il est l'un des trois administrateurs. 


Détails d'infusion : 5.1 gr. / 120 ml en Gaiwan "Lotus". Eau filtrée Brita, maintenue à 100°C en Glass Kettle. Rinçage flash. Temps d'infusion : 15s. - 15s. - 25s. - 40s. - 60s. - 90s. - suite au jugé. Total de 8 infusions.


Vue : Les feuilles sont magnifiques, y'a pas à dire, d'ailleurs on le voit bien sur la photo. Jolie liqueur orange bien saturé, c'est vif et éclatant, et les parfums suivent. 


Odeur : Le muscat est très présent, c'est profond et boisé, très très parfumé, probablement l'un des meilleurs OB qui soit passé dans mon gaiwan. Un concentré de miel d'automne, des fruits rouges, des raisins bleus, de la cardamome, cannelle, poivre rose... un pur délice, et un fond de tasse léger, presque floral. 


Goût : La première infusion est légère et mielleuse, avec une pointe d'acidité végétale qui développe encore davantage le miel. Ça donne un peu une impression de muscat alcoolisé à vrai dire, ces saveurs qui se développent d'une façon encore plus présente sur les trois infusions suivantes. Des fruits rouges acides, groseille ou sureau, apparaissent par la suite mais se mêlent harmonieusement avec le miel. Le thé évolue doucement et s'estompe en laissant derrière lui des parfums qui sont bien présents jusqu'à la toute fin de la dégustation. Vraiment la crème de la crème. Merci encore Sébastien. 


Texture : Ça laisse du miel boisé et une sensation de chaleur en gorge, c'est plutôt surprenant. La sensation miellée se décuple au fil des infusions, j'ai du mal à me concentrer sur la texture qui est plutôt fine et lisse, sans grande épaisseur. Mais quel cha qi ! Dynamisant et relaxant à la fois. 


Couleurs : Les trois couleurs que je retrouve presque toujours sur mes Oriental Beauty sont bien présentes, jaune doré, rouge vif, et bleu clair en touches transparentes posées délicatement les unes par-dessus les autres. Les motifs me renvoient une impression de puissance tranquille, bien à l'image des parfums de ce thé.